J'ai (enfin) suivi une formation à la Communication NonViolente

Le dans «Blog» par Alban Dericbourg
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J'ai découvert la Communication NonViolente il y a huit ans. Mes premières lectures m'ont très vite donné envie d'aller plus loin, de creuser le sujet. J'y ai vu un outil « magique » qui résoudrait toutes les situations inconfortables au travail que je vivais plutôt mal. Avec cette optique, j'estimais que les stages de CNV devaient être considérées comme des formations professionnelles et être prises en charge par mon employeur.

Huit ans plus tard, j'ai fini par suivre ces stages sur mon temps personnel et sur mes fonds propres sans aucun regret. Retour.

Ceci n'est pas un article sur la Communication NonViolente

J'ai suivi les trois modules de base de formation à la CNV. Je ne souhaite pas détailler le contenu de ces stages. Non par confidentialité du contenu. Non par paresse. Non parce que j'ai dormi durant six jours.

J'ai perçu ces stages comme quelque chose qui se vit et non comme quelque chose qui s'explique ou se pense. D'ailleurs, je n'ai jamais réussi à finir un livre traitant de la Communication NonViolente par ennui et par manque de vie. Et c'est là toute la différence entre les livres et les stages : les livres se lisent avec la tête de façon rationnelle tandis que les stages insistent sur le ressenti, sur l'attention à l'émotion que l'on a souvent appris à étouffer avec la tête.

Je vais donc axer ce retour sur la façon dont j'ai vécu les choses et sur les déplacements intérieurs que j'ai pu observer chez moi.

Et moi, et moi, et moi

Je suis de nature discrète et il m'arrive de manquer de confiance en moi pour prendre la parole au sein d'un groupe. Lorsque je la prends, j'ai du mal à la garder jusqu'à ce que j'aie terminé d'exprimer ce que j'avais à dire. Lorsque ça arrive, ça me coupe doublement la chique puisque je me retrouve en état de sidération sans savoir quoi répondre pour faire remarquer que j'aurais légitimement pu aller au bout de mon idée. C'est également ce qui peut m'arriver lors d'une interaction inconfortable.

Lorsque je m'exprime, j'ai besoin d'être compris. Tant que je fais face à quelqu'un qui ne me semble pas avoir compris ce que je dis ou qui m'oppose des « oui, mais » sans la moindre reformulation, je peux sur-enchérir sur les arguments et bouillir de l'intérieur.

Une fois à bout, quand je ne peux plus rien retenir et que la vapeur s'échappe par mes oreilles, il est trop tard. Je mets fin à la relation, je démissionne (parfois avec fracas), je ferme la porte sans retour possible tout en ayant conscience que j'ai ma part de responsabilité dans cette rupture qui aurait pu être évitée avec une communication de qualité.

Module 1 : le recul sur soi

Le module 1 a été l'occasion d'une prise de recul. À l'issue de celui-ci, je me suis observé à plusieurs reprises me détacher d'une conversation pour constater que celle-ci n'irait nulle part telle qu'elle était menée.

J'ai par exemple évoqué une envie, un rêve que je ne réaliserais jamais que j'ai depuis quelques années (et qu'il ne serait effectivement pas raisonnable de réaliser) avec une personne de mon entourage proche. Celle-ci a argumenté sur le manque de réalisme d'un tel projet. Après un court ping-pong d'arguments, j'ai senti un déplacement intérieur qui m'a permis de réaliser que nous n'argumentions pas sur le même plan : mon interlocuteur était focalisé sur le réalisme du projet et moi sur mon droit à rêver et sur le pourquoi cela me fait rêver. J'ai ainsi pu interrompre cet échange stérile avant que le ton ne monte simplement en cessant de contre-argumenter.

C'est quelque part assez rassurant : c'est justement l'objet de ce module, « clarifier puis exprimer ce qui se passe en nous ». Il ne s'agit pas ici de l'exprimer à mes interlocuteurs mais de me l'exprimer, de prendre connaissance et conscience de mon état ici et maintenant.

Sans ingratitude de ma part, je ne pense pas que deux jours de formation soient à l'origine d'un tel changement. À un autre propos, Gerald M. Weinberg écrit dans la préface de Becoming a technical leader :

« becoming a leader is not something that happens to you, but something that you do. [...] Our workshops [...] give a boost to each person's unique experiential process of self-development »

(devenir un leader technique n'est pas quelque chose qui vous arrive mais quelque chose que vous faites. Nos stages donnent juste un coup de pouce à chacun dans son propre développement personnel)

Cette formulation me rejoint pour évoquer ce stage et l'évolution qui s'est opérée chez moi. Le cadre sécurisant posé par la formatrice et la garantie de confidentialité permet de prendre des risques, de s'ouvrir plus que d'usage.

Module 2 : l'ouverture au dialogue

Autant le premier module est tourné vers soi, autant le second est tourné vers l'autre (en conservant cette connexion à soi). J'ai suivi ce module 2 environ un mois après avoir suivi le précédent.

Plutôt à l'aise en petit groupe, j'ai moins bien vécu ce module du fait du nombre de participants (17). J'ai également été déçu de constater que la Communication NonViolente ne pouvait pas tout résoudre : en travaillant sur une situation personnelle difficile et malgré l'aide du formateur, je n'ai pas réussi à trouver d'issue qui assurerait la continuité de la relation. Cela a été l'occasion pour moi de prendre conscience qu'une relation se construit et se maintient à deux : si l'autre ne souhaite pas cette relation ou considère qu'elle n'existe pas, tous mes efforts pour la construire ou la rétablir seront vains. C'est ce que met en évidence Jacques Salomé avec sa métaphore de l'écharpe.

Si je ne devais retenir qu'une expérience de ce deuxième module, je m'arrêterais sur l'écoute silencieuse. L'exercice consiste à former un binôme : un écoutant offre son attention sans intervenir à un écouté qui est libre de s'exprimer pendant six minutes. Jusque là, je percevais mon expression comme décousue et je me pensais incapable de tenir seul un sujet au-delà de quelques phrases. J'ai été très surpris de constater que j'en étais non seulement capable mais que l'expérience m'avait été agréable ! C'est ainsi que j'ai réalisé (au delà d'une compréhension intellectuelle) que la qualité d'un échange dépend autant de la qualité de l'écoute que de la qualité de la parole. Si j'avais déjà conscience de quelques travers de l'écoutant (ramener le sujet à soi, commenter ou juger les propos...), j'en ai découvert de beaucoup plus insidieux. En particulier, j'ai été saisi par la rupture du flot de la pensée que provoque une question impromptue, aussi pertinente et bienveillante soit-elle.

Si j'ai pris conscience de ces obstacles à la communication pour moi... j'en ai également pris conscience dans la communication des autres, avec qui j'ai commencé à les repérer :

« Je n'ai pas envie d'aller faire les courses demain...
— Eh bien moi je n'ai pas envie d'aller travailler !
(avec un petit sourire) Tiens, tu ramènes les choses à toi »

La suite de cette conversation a été ce qu'on pourrait appeler une situation inconfortable. Quelle était mon intention en faisant remarquer ce défaut de communication ? Certainement pas le maintien de la relation en tout cas.

Module 3 : la pratique du dialogue

J'ai suivi ce module quelques jours après le module 2. Un mois d'écart entre deux modules m'a semblé trop long mais trois jours m'ont semblé trop courts : je me sentais encore en phase de digestion du précédent module. Si c'était à refaire sans aucune contrainte, je choisirais de les espacer de deux à trois semaines. Cela reste une perception personnelle : si cela répond à mon propre rythme, cela n'est pas une recommandation universelle.

Ce module a été moins pour moi une source de découverte qu'un approfondissement des premiers modules. Il apporte de nouvelles notions, dont le travail autour du « non », mais j'en ai surtout récolté un ancrage plus fort. C'est réellement le module où j'ai senti les fruits de ces formations, où j'ai pu observer que j'avais engrammé certaines attitudes. Je m'observe plus attentif lorsque j'écoute quelqu'un tout en étant attentif à ce que son discours provoque chez moi : je suis ainsi pleinement à la discussion lorsque je suis disponible pour l'être et je suis capable de remarquer lorsque je ne le suis pas, proposant ainsi d'interrompre ou de reporter l'échange.

À l'issue de ce sixième jour, ma communication est encore loin d'être parfaite : il reste du travail. Certains sujets ou certaines façons de parler peuvent encore me faire bondir, je peux me retrouver dans une incapacité à accueillir pleinement ce que dit l'autre en quelques phrases seulement. Je note cependant les petits pas, les petites réussites qui m'encouragent à poursuivre et à persévérer. Ce troisième module aura été, pour moi, le module de la confirmation.

Et maintenant ?

L'attitude d'auto-empathie, outil de prise de recul sur soi, m'a permis d'identifier au début du troisième module que j'étais inquiet de voir ces trois modules se terminer, d'interrompre ces progrès que je me suis observé faire et l'intensité des échange qui ont eu lieu lors de ces six jours. J'ai ainsi pu prendre conscience qu'il était important pour moi d'ancrer mon intention, ma posture et mes acquis. J'ai ainsi pu prendre la décision de planifier dès la fin du stage ce qui serait la suite, que ce soit un autre stage ou rejoindre un groupe de pratique.

Une fois cette décision prise, je me suis détendu et j'ai pu profiter pleinement des deux jours de stage sans inquiétude ni pensée parasite vis-à-vis de la suite.

Six jours de formation ne m'ont pas suffi à devenir un expert de la Communication NonViolente. Pour autant, la graine est semée et a commencé à germer. Même si je n'y parviens pas toujours, je garde l'intention de la CNV avec moi, le maintien de la relation sans objectif caché. Et lorsque je perds ce cap, je me pose (parfois longtemps après) la question que Marshall Rosenberg posait :

« Qu'est-ce qui est important pour toi : être heureux ou avoir raison ? »

La CNV en entreprise

Pour boucler cet article, revenons sur la CNV en entreprise :

  • Peut-on l'utiliser dans ce contexte ?
  • Est-ce pertinent de former ses salariés à la Communication NonViolente ?

Utiliser la CNV en entreprise

À plusieurs reprises, j'ai entendu dire que la CNV n'était pas adaptée à l'entreprise. Parmi les arguments contre, j'en ai retenu deux : d'une part les émotions n'auraient pas leur place au travail et d'autre part l'expression en continu des besoins serait source d'agacement.

Par taquinerie, je pourrais faire remarquer que ces deux points, lorsqu'ils sont formulés par la même personne, se contredisent. Si les émotions n'ont pas leur place au travail, pourquoi prendre en compte l'agacement que provoque chez certains l'expression des besoins ? Et d'ailleurs, cette prise en compte serait justement... la prise en compte de l'expression d'un besoin.

Je souhaite repartir de l'intention de la CNV : maintenir la relation. Ce n'est pas exprimer ses émotions, ce n'est pas faire respecter ses besoins : c'est entretenir ce qui nous relie à l'autre. Il s'agit vraiment de l'essentiel de la Communication NonViolente. Si pour maintenir cette relation, j'utilise l'auto-empathie (« processus » silencieux de CNV de moi à moi-même pour identifier mon besoin et essayer d'y répondre) au travail, je ne rentre pas dans le cadre de ces critiques. Ainsi, la CNV me permet de travailler sur mon état intérieur, de le clarifier et de me rendre plus disponible et ouvert au dialogue avec mes collègues.

Par ailleurs, un praticien expérimenté en CNV n'utilise pas le schéma d'expression avec ses gros sabots : « Lorsque tu dis... je me sens... parce que j'ai besoin... donc pouvons-nous... ? ». Une pratique de la CNV maîtrisée peut passer inaperçue en utilisant des tournures de phrases plus naturelles, voire en éludant l'expression de l'émotion ou du besoin si celle-ci est trop « évidente ». Tout est question d'expérience et de pratique.

Former ses salariés à la CNV

Quant à la pertinence de former ses salariés à la Communication NonViolente... ça dépend. La CNV demande un travail sur soi, elle demande d'avoir envie de changer, quitte à aller creuser des choses qui ne sont pas toujours confortables. En ça, je pense qu'il n'est pas pertinent de former tout le monde. Sans l'envie préalable, ce serait du temps perdu... voire contre-productif. Les mécanismes de la CNV, lorsqu'ils ne sont pas bien intégrés, deviennent très vite de la « CNVV » (Communication NonViolente Violente). L'exemple suivant semble mécaniquement correct mais est pourtant violent à l'égard du destinataire du message :

« La dernière fois que je suis allé en réunion avec toi, j'en suis ressorti en pleurant. Je suis fatigué de tes frasques et j'ai besoin d'être écouté pendant les réunions. Alors est-ce que tu peux arrêter de te comporter comme tu le fais à chaque fois ? »

Être volontaire pour travailler sur soi ne protège pas d'une telle formulation. J'ai d'ailleurs rencontré en formation des gens qui pouvaient s'exprimer ainsi — et c'est normal, cela demande du temps de bien intégrer les choses. L'envie est une condition nécessaire mais pas une condition suffisante.

Cependant, il suffit de quelques individus pour transformer tout un groupe. Lorsqu'une personne fait un pas de côté et change son comportement, elle va induire un changement dans tout le groupe ; et ce changement du groupe va induire un changement de chaque individu du groupe jusqu'à une situation d'équilibre.

💡Ce mécanisme est illustré par l'Université du Nous dans son MOOC sur la gouvernance partagée.

Un changement personnel induit un changement du groupe, qui induit lui-même à nouveau un changement personnel

Ainsi, former quelques volontaires motivés peut avoir un impact fort sur tout un groupe. En cela, je pense que former les volontaires à la CNV peut être pertinent et bénéfique pour une entreprise.

Célébrer les petits pas

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